31. Nouvelle responsabilité pour les sites de partage de contenus protégés par un droit d’auteur ?

 (Commentaire de l'article 17 de la Directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique)

 

 

La directive « Commerce électronique » de 2001 limite fortement la responsabilité des hébergeurs de contenus téléchargés vers ses serveurs (upload) dans son article 14.

 

 

Selon celle-ci, l'hébergeur doit décider s'il maintient ou retire le contenu dénoncé par des tiers.

 

Il n’engage sa responsabilité que s’il maintient un contenu illicite en ligne.

 

Avec le Web 2.0 la notion d'hébergeur s'est trouvée considérablement élargie à de nombreux intermédiaires bien éloignés de l’hébergement informatique stricto sensu (Google, eBay, YouTube, Dailymotion…).

 

La directive sur le droit d'auteur et les droits voisins dans le marché unique permettra peut-être de mettre en cause plus facilement la responsabilité des sites de partage de contenus. Cette directive est applicable à partir du 7 juin 2021.

 

Son article 17 met en place une sorte d'obligation de négocier avec les ayants droit et tend à empêcher a priori la mise en ligne de matériaux contrefaisants et non plus simplement à mettre fin à une mise en ligne déjà effectuée.

 

Le site de partage doit prouver qu'il a fourni ses « meilleurs efforts » pour garantir l'indisponibilité des œuvres et assuré ce maintien. Toutefois, les start-up bénéficient d’un régime allégé. 

 

La nouvelle Directive « Marché numérique » écarte la directive « Commerce électronique » concernant spécifiquement le droit d’auteur et les droits voisins en prévoyant un régime principal visant les grands sites de partage, par exemple les GAFA (1) et un régime adapté aux start-up (2).

 

1.  Le régime principal (hors start-up)

 

A. - Les sites de partage visés par le nouveau régime

 

Le texte vise les sites de partage qui donne accès à une quantité importante de contenus protégés par le droit d'auteur ou par des droits voisins.

 

  • Les contenus doivent avoir été apportés (téléversés selon la Directive) par les utilisateurs.
  • L’hébergeur doit avoir un but lucratif (paiement direct, rémunération par la publicité…), notamment au travers de son rôle d’organisation et de promotion des contenus.

La Directive vient préciser que ne sont pas des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne au sens de la directive les prestataires de services tels que :

-          Les encyclopédies en ligne à but non lucratif,

-          Les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif,

-      Les plateformes de développement et de partage de logiciels libres,

-        Les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972, (ce que l’on appelait les opérateurs télécoms)

-          Les places de marché en ligne,

-       Les services dans le cloud entre entreprises et les services dans le cloud qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur propre usage ».

 

B. - Les nouvelles obligations des sites de partages

 

1° vis-à-vis des titulaires de droits

 

Si aucune autorisation, sous forme de licence par exemple, n'est accordée par les ayants droit, les sites de partage de contenus en ligne sont responsables des actes non autorisés de communication au public, sans toutefois mettre à leurs charges une obligation générale de surveillance (art.17.8).

 

  • La Directive vient préciser que les sites de partage effectuent des actes de communication au public lorsqu'ils donnent au public l'accès à des œuvres protégées par le droit d'auteur qui ont été apportées par leurs utilisateurs. Cette précision est bien venue du fait de la très grande complexité de la jurisprudence actuelle en matière de lien hypertexte (art. 17.1).

Si une autorisation est donnée, l'accord passé avec les titulaires de droits couvre non seulement la diffusion faite par l'exploitant de la plateforme, mais encore la communication qui pourrait d'abord être reprochée à ces utilisateurs, sauf si ces derniers agissent dans un but lucratif (art. 17.2, considérant 69).

 

  • Ainsi, un site qui rediffuse à titre lucratif des contenus présents sur des plateformes ne pourrait probablement pas s’abriter derrière les licences entre les plateformes de type YouTube ou DailyMotion et les ayants droit.

 

Mais surtout, l'article 17.4 met à la charge du fournisseur de services une vaste obligation dont les contours sont bien incertains afin de ne pas engager sa responsabilité.

 

Il s’agit d’une sorte de clause d’objectifs (faire ses meilleurs efforts) pour le site de partage dont le juge devra vérifier la mise en œuvre en cas de contentieux…

 

Le résultat concret une impossibilité de prévoir avec une relative certitude avant l’action judiciaire si le site de partage peut engager sa responsabilité.

 

La directive indique que les fournisseurs de services sont responsables des actes non autorisés de communication au public :

 

« à moins qu'ils ne démontrent que :

 

a) ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation ;

 

et

 

b) ils ont fourni leurs meilleurs efforts (…), pour garantir l'indisponibilité d'œuvres (…);

 

c) ils ont agi promptement, dès réception d'une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l'accès aux œuvres (…) et empêcher que les contenus soient téléversés dans le futur ».

 

 

L'article 17.5 donne un guide pour comprendre cette nouvelle obligation :  

« Pour déterminer si le fournisseur de services a respecté les obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 4, et à la lumière du principe de proportionnalité, les éléments suivants sont, entre autres, pris en considération :

 

a) le type, l'audience et la taille du service, ainsi que le type d'œuvres ou d'autres objets protégés téléversés par les utilisateurs du service ;

 

et

 

b) la disponibilité de moyens adaptés et efficaces et leur coût pour les fournisseurs de services ».

 

Tout cela est très peu précis : il s’agit de vagues objectifs qui conditionnent la responsabilité des sites de partage. L’incertitude générée par ce nouveau texte n’est ni favorable aux ayants droit ni aux sites de partage.

 

2° Vis-à-vis des utilisateurs

 

La Directive réserve le jeu des exceptions au droit d’auteur qui continuent de bénéficier au public.

 

Cependant la liste incomplète des exceptions visées par le texte n’est pas satisfaisante (art. 17.7). Sans doute faut-il considérer que l’ensemble des exceptions reste applicable en droit français, même sur les sites de partage …

 

2.  Le régime particulier pour les nouveaux sites de partage (art.17.6)

 

A. - Les nouveaux sites concernés : les start-up

 

À titre d’exception, l'article 17.6 vise :

 

-           Les sites de partage de contenus en ligne dont les services ont été mis à la disposition du public dans l'Union depuis moins de trois ans,

 

et

 

-          qui ont un chiffre d'affaires annuel inférieur à 10 millions d'euros.

 

Avec une spécificité pour les sites dont le nombre moyen de visiteurs uniques par mois de tels fournisseurs de services dépasse les 5 millions, calculé sur la base de l'année civile précédente.

 

B. - les obligations allégées

 

Les start-up n'ont pas à démontrer qu'ils ont fourni leurs meilleurs efforts pour assurer l'indisponibilité des contenus litigieux. Ils ne sont pas soumis à l’article 17.4. b.

 

Ils ne sont pas tenus de fournir leurs "meilleurs efforts" pour empêcher qu'ils ne réapparaissent.

 

Pascal Reynaud

Avocat au barreau de Strasbourg

 

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