La E-réputation sur internet en 9 points
(Mise à jour 11/01/2020)
Voici 9 points pour gérer une question d’e-réputation sur internet.
N'hésitez pas à me contacter par email si vous avez des questions : reynaud.avocat@gmail.com
1/ Vérifier si les contenus sont illégaux et identifier la bonne base légale de l'action :
Le contenu préjudiciable peut être soit :
- diffamatoire ou injurieux à l'égard d'une personne physique ou morale,
- dénigrant un produit ou un service d'un commerçant ou d'une société,
- être de la concurrence déloyale de la part d'un concurrent,
- porter atteinte à la vie privée ou à l'image d'une personne physique,
- constituer une atteinte à la législation sur les données personnelles d'une personne physique.
Chacune de ces catégories renvoie à des règles de droit bien spécifiques. Attention à ne pas se tromper de qualification en cas de poursuite judiciaire.
Par exemple, la critique d'un produit ou d'un service relève du dénigrement (Trib. com., référé, 5 mars 2020 au sujet d' un article approximatif sur un blog) et non de la diffamation ou de l'injure (Loi 1881 sur la presse).
La distinction entre la critique d'un produit ou d'un service (dénigrement) et la critique d'une personne morale (diffamation) peut être subtile comme le montre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 janvier 2020 qui infirme une décision du tribunal de commerce sur ce sujet...
Concernant le dénigrement, pour que la critique d'un produit ou d'un service soit légale, il faut respecter 3 conditions :
- 1/ l'information en cause doit se rapporter à un sujet d'intérêt général (santé, sécurité, politique...),
- 2/ l'information doit reposer sur une base factuelle suffisante,
- 3/ l'information doit être exprimée avec une certaine mesure.
À l'inverse, des propos dénigrants dont la base factuelle est discutable permettent d'agir en référé pour les supprimer (Cass., civ, 4 mars 2020, 18-15651).
De même, le débat d'intérêt général ne doit pas servir de prétexte à diffuser des informations relevant de la vie privée, en l'espèce la vie amoureuse et sentimentale de deux ministres (Cass. civ. 11 mars 2020, 19-13716).
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Pour une appréciation générale de la qualité des
services relevant du dénigrement (responsabilité civile art. 1240 C.civ.) et non de la diffamation (loi sur la presse) : TGI de Marseille, 11A ch. coll., jugement
correctionnel du 29 novembre 2016 ; Tribunal de commerce de Paris, 15ème ch., jugement
du 16 décembre 2019; CA PARIS, 6 janvier 2021 Tripadvisor / Viaticum.
- Pour une atteinte relevant de la diffamation et non du droit à l'image (CA Versailles, 26 octobre 2017, n° 17/00437 Dalloz IP/IT 2018 p.253).
- Si le droit de critique existe légitimement pour les services d'un restaurant, il ne peut dégénérer en pure intention de nuire (CA Dijon, 20 mars 2018, n° 15/02004, SARL Loiseau des Ducs) : En effet, à la date de ses commentaires négatifs, l'internaute n'avait pas pu bénéficier des prestations de ce restaurant qui n'était pas encore ouvert. La Cour conclut que « ces commentaires, peu flatteurs pour un établissement portant le nom prestigieux de Loiseau, étaient destinés à dissuader la clientèle potentielle de le fréquenter, et ils constituent un dénigrement manifeste de nature à engager la responsabilité délictuelle de leur auteur ». (condamnation de l'internaute à 4 000 € au total).
- Un ancien salarié qui publie anonymement un avis dénigrant sur la page Google My Business de son ex-employeur s'est vu condamner pour dénigrement, malgré les difficultés d'identification de l'auteur du message ( identification au travers de l'adresse IP puis de son compte chez un FAI) et de qualification des propos entre le dénigrement et la diffamation ( TGI de Nanterre, 21 novembre 2019 Auto Ecole Newton Levallois / M. X).
- Dans le domaine de la propriété intellectuelle, le fait de communiquer publiquement sur un éventuel risque de contrefaçon du fait d'un concurrent est considéré comme un dénigrement (Cass. com., 20 sept. 2016 n° 15-10939). Mais lorsque la contrefaçon a été reconnue judiciairement, il est possible d'en informer les tiers, sauf si cette information est présentée de manière déloyale (Cass. com., 13 mars 2019, n° 18-11.046).
Le dénigrement des produits par un concurrent, même de manière clandestine sous couvert d'un faux avis de consommateur, relève de la concurrence déloyale.
On remarque que la réputation des produits et services est bien mieux protégée que la réputation des personnes, car il est plus simple d'agir sur le terrain de la responsabilité civile que de la diffamation...
Il est aussi possible d'utiliser la législation sur les données personnelles afin de demander la suppression de certaines informations. Mais il convient de solidement justifier sa demande.
- Pour une suppression de la fiche Google My Business d'un chirurgien dentiste par le TGI de Paris en référé (TGI Paris 6 avril 2018;voir aussi Conseil d'Etat 12 mars 2014 n° 353193 sur les Pages Jaunes ) mais la jurisprudence de 2019 paraît moins favorable à la suppression de la fiche (TGI de Paris, ordonnance de référé du 12 avril 2019.CA Paris, 22 mars 2019, n° 18/17204). Une action sur le fondement de la diffamation dirigée contre l'auteur des propos litigieux est une solution plus sûre qu'une action contre Google sur la base du droit des données personnelles (Tribunal judiciaire de Marseille, ordonnance de référé du 23 septembre 2020). Toutefois, ces dernières décisions sont critiquables sur plusieurs points. Sans doute faut-il aussi éviter la procédure de référé pour des sujets aussi complexes...
2/ Faire une demande de suppression à l'auteur du contenu :
Souvent le site visé par la demande de suppression n’oppose que peu de résistance.
Mais il convient d’apprécier le risque d’effet pervers d’une demande de suppression de contenu.
Il faut éviter de déclencher une riposte négative sur ledit site avec de nouveaux contenus négatifs et un "bad buzz" préjudiciable.
3/ Exercer son droit de réponse sur internet :
Est-il opportun de répondre directement sur le site sur lesquels les propos litigieux paraissent, notamment au travers d’un droit de réponse publié sur le site ? Il existe en effet un véritable droit de réponse sur internet avec un régime spécifique.
Mieux vaut dans certaines hypothèses, par exemple vis-à-vis d'un client mécontent, rentrer en contact directement avec l'auteur du contenu négatif par email pour tenter de désamorcer la situation.
À l'inverse une discussion publique sur le sujet risque de relancer un débat défavorable.
4/ Exercer son droit au déréférencement sur les moteurs de recherche
Le principal préjudice est souvent le référencement sur Google du contenu litigieux.
La CNIL a mis en place des pages pédagogiques sur le droit au déréférencement.
Pour la demande de déréférencement à Google ou à d'autres moteurs de recherche, il convient de distinguer les cas des personnes physiques des personnes morales.
- Pour les personnes physiques , on pourra s’appuyer sur le fameux droit "à l’oubli" et au déréférencement (Cass, 14 février 2018, n° 17-10499).
- Pour les personnes morales, ce droit à l’oubli n’est pas accordé.
13 Arrêts du Conseil d’Etat du 6 décembre 2019 permettent de mieux comprendre les chances de succès d'une démarche soit envers Google soit envers la CNIL (Voir le communiqué du Conseil d’Etat) :
Données dites sensibles (santé, sa vie sexuelle, opinions politiques, convictions religieuses)
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Données judiciaires (relatives à une procédure judiciaire ou pénale)
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Données touchant à la vie privée sans être sensibles |
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CE N° 391000 : vidéo image : déréférencement oui
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CE N° 393769 : appartenance église de scientologie : déréférencement oui
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CE n° 395335 Informations touchant à l’intimité de la requérante : déréférencement oui
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CE n° 397755 : affaires judiciaires : déréférencement oui
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CE n° 399999 : affaires judiciaires : déréférencement oui
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CE n° 401258 : affaires judiciaires : déréférencement oui
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CE n° 403868 : Activité professionnelle & coordonnées sans commentaires négatifs à la date de la décision : déréférencement non
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CE n° 405464 : Propos litigieux et appartenance à la vie politique : déréférencement non
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CE n° 405910 : information sur un ancien brevet & l’adresse du requérant : déréférencement oui
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CE n° 407776 : affaires judiciaires : déréférencement oui
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CE n° 409212 : orientation sexuelle : déréférencement oui
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CE n° 423326 : lien résultats des élections législatives de 2012 : déréférencement oui
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CE n° 429154 : violence conjugale révélée par une personne connue dans un interview récent : déréférencement non
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5/ Travailler le référencement naturel sur les moteurs de recherche
Travailler le référencement naturel de son propre site est un préalable nécessaire. Il s’agit d’éviter que le référencement du contenu négatif apparaisse en bonne position dans les moteurs de recherche.
Il est nécessaire de multiplier les contenus positifs de qualité en relation avec le produit ou le service critiqué par ailleurs.
6/ Engager la responsabilité de l'hébergeur des contenus
Faut-il envisager une véritable notification du contenu illégal à l'hébergeur du site (art. 6.I.5 LCEN) afin de rendre l’hébergeur responsable du contenu si ce dernier laisse subsister le contenu illicite en ligne ? Si l'on envisage de mettre en jeu la responsabilité de l'hébergeur, il conviendra de respecter scrupuleusement les exigences de cet article 6.I.5, sous peine de voir son action en responsabilité rejetée. L'hébergeur sera principalement responsable pénalement et civilement en cas de retard dans la suppression du contenu litigieux (art.6.I.2 & 3 LCEN).
La question juridique ici est de savoir quel est le régime juridique du support de communication utilisé : est-ce un hébergeur ? Est-ce un éditeur ? Est-ce un forum de discussion ? Un comparateur de produits et services ? Ici aussi chaque catégorie d’acteur relève d’un régime juridique différent.
7/ L'identification technique et juridique des responsables
Avant d’envisager des démarches juridiques, il faut identifier officiellement le site ou l'auteur du message puis qualifier juridiquement les différentes parties.
C’est le " représentant légal " qui assume la responsabilité de directeur de la publication et non le webmaster du site. (Cass. 1e civ. 18-10-2017 n° 16-19.282).
Cette identification peut s’avérer très simple en s’appuyant sur ses mentions légales du site ou bien plus complexe si le contenu est diffusé de manière anonyme.
Dans ce dernier cas, les investigations pourront être plus longues, par exemple au travers du titulaire du nom de domaine ou surtout de l'adresse IP en sollicitant un tiers, par exemple l'hébergeur du contenu.
La LCEN prévoit le recours à la procédure sur requête dans le cadre de son article 6-I 8° pour lever l'anonymat. Toutefois certaines juridictions semblent privilégier la procédure en référé pour obtenir l'identification de l'auteur d'un contenu préjudiciable ( C. LEGRIS - DUPEUX, La surprise comme condition nécessaire à l’octroi d’une ordonnance 145 en matière d’identification sur internet, l’impossible casse-tête des victimes de contenus préjudiciables sur internet, RDLI Numéro 175 I novembre 2020, p.23).
Vient ensuite la qualification juridique des parties.
Concernant spécialement le droit de la presse (injure & diffamation), l'article 93-3 de la Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle applicable à l’internet distingue le directeur de la publication qui sera poursuivi en tant qu’auteur principal de l’infraction pénale (1°) et envisage deux autres intervenants, l'auteur du contenu préjudiciable (2°) et le producteur du site web (3°), tous deux considérés comme complices. Il s'agit de la responsabilité en cascade bien connue des spécialistes du droit de la presse qui conviendra d'adapter à internet.
En l’absence de fixation préalable à la diffusion des contenus litigieux, l’auteur des contenus litigieux peut être poursuivi comme auteur principal de l’infraction, puis le producteur à défaut d’identification de l'auteur du propos ou de l'écrit.
Lorsque le contenu est posé sur un forum, le directeur de la publication ne peut pas voir sa responsabilité pénale engagée comme auteur principal s'il est établi qu'il n'avait pas effectivement connaissance du message avant sa mise en ligne ou si, dès le moment où il en a eu connaissance, il a agi promptement pour retirer ce message.
8/ L'utilité d'une action judiciaire ?
Doit-on envisager des suites judiciaires à donner en cas de non-retrait des contenus litigieux ? Faut-il choisir le référé et/ou une procédure au fond ?
La situation peut justifier d'une procédure en référé pour faire cesser un trouble manifestement illicite (art. 873, al. 1, Code de procédure civile). Mais le demandeur se heurtera ici à l'aléa tenant aux cas d'ouvertures d'une telle procédure (Cass., civ, 4 mars 2020, 18-15651).
Le choix du référé basé sur une action en cessation prévue par l'article 6-I-8 LCEN ne permet pas de contourner la difficulté du droit de la presse sur le plan procédural.
Les juridictions ont tendance à appliquer les règles procédurales de la loi de 1881 même dans le cadre de la LCEN, si l'on se trouve dans un cas de diffamation sur le fond. (Cass. 1re civ., 19 juin 2008, n° 07-15.430; CA Paris, pôle 1, ch. 8, 22 mars 2019, n° 18/17204).
La question de l'utilité d'un procès doit être envisagée, surtout quant aux délais et de la complexité pour obtenir une décision de justice définitive.
Un préjudice d’image au détriment d'un commerçant peut être très rapidement réalisé sur internet alors que la décision du tribunal arrivera longtemps après, surtout dans le cadre d'une procédure classique "au fond". Lorsque la décision sera rendue, celle-ci ne sera plus d’une grande utilité.
9/ La preuve des contenus litigieux
Avant toute démarche vis-à-vis du site litigieux, est-il nécessaire de constituer des preuves des contenus ?
Une simple copie écran d'un contenu sera sans grande utilité à titre de preuve en cas de procès.
Si la démarche contient un volet indemnitaire important, on conseillera de procéder à un constat d’huissier préalable afin de sauvegarder des preuves du contenu.
Si le but de la démarche est simplement la suppression du contenu, le constat d'huissier ne sera pas forcément utile.
Pascal Reynaud
Avocat au barreau de Strasbourg
reynaud.avocat@gmail.com
2019